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eux, trop peu habitués à voir des étrangers, restèrent taciturnes et l’évitèrent, en dépit de nos efforts. Je passai une bonne soirée à deviser avec ma sœur et mon beau-frère. Ils repartirent dans la journée du lendemain, car ils n’avaient qu’un congé de quinze jours et, comme ils tenaient à voir tous les membres de leurs deux familles, ils ne pouvaient rester longtemps dans chaque maison.

Deux ou trois fois vint aussi, avec sa famille, le verrier de Souvigny qui avait épousé la sœur aînée de Victoire. C’était un homme entre deux âges, gros et grand, au visage joufflu quoique blême, avec une abondante moustache rousse. Il toussait : sa poitrine était usée doublement par son travail de souffleur et par l’alcool. Il n’avait guère que des pensées de révolte et de mort. L’idée de la mort le hantait souvent.

— Dans notre métier, disait-il de sa voix rauque et désagréable, on est usé à quarante ans ; rares sont ceux qui vivent jusqu’à cinquante. Pour mon compte, je ne tarderai pas d’aller tirer le pissenlit par la racine.

Cette perspective était cause qu’il voulait jouir de son reste. Il exigeait une bonne cuisine, de la viande et du vin tous les jours. Ce qui ne l’empêchait pas de dépenser beaucoup hors de chez lui ; deux ou trois gouttes lui étaient nécessaires le matin, l’apéritif le soir, de grandes débauches les jours de paie, les jours de fête. Aussi, bien qu’il se fît des mois de quatre-vingt-dix francs, les ressources n’abondaient-elles jamais. Il y avait des fois où le boulanger, le boucher, l’épicier, ne voulaient plus rien donner à crédit ; ces jours-là, il entrait dans des colères épouvantables et cognait furieusement la femme et les gosses. La femme, bien plus vieillie encore que Victoire, les cheveux blanchis avant l’âge, avait une pitoyable expression de terreur rési-