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un œuf. Mais elle ne voulait rien savoir et prenait seulement pour se soutenir une tasse de bouillon dans la soupière commune.

Bien que la servante fût chargée de toutes les grosses besognes, Victoire n’en avait pas moins beaucoup à faire ; les enfants, la basse-cour, les repas, une bonne part du ménage, sans compter, quand le lait donnait, la préparation du beurre et du fromage, il y avait là de quoi occuper une plus robuste qu’elle. Elle savait très bien tirer parti de toutes ses denrées qu’elle portait en deux grands paniers au marché de Bourbon chaque samedi. Elle était aussi très économe et s’entendait à rabrouer la servante quand celle-ci était trop prodigue en savon, en lumière, en bois pour le feu. Certes, la pauvre fille n’avait pas toutes ses aises.

Il arriva même que notre maison fût un peu décriée : on disait que j’étais trop rapide au travail et que la bourgeoise était méchante et intéressée. Pour ces motifs, les domestiques et les servantes y regardaient à deux fois pour se louer chez nous. Nous étions obligés de les payer au dessus du cours normal.

Heureusement, Victoire restait une excellente mère ; les petits avaient rarement à souffrir de sa mauvaise humeur. Elle se plaignait d’eux, les déclarait insupportables, disait, en ses jours de souffrance, qu’ils achevaient de lui casser la tête, mais elle ne les battait jamais. Pour mon compte, je n’avais que bien rarement le loisir de m’occuper des enfants : c’est à peine si je trouvais quelques instants le dimanche pour les faire sauter sur mes genoux ; mais je puis dire en toute sincérité que je ne fus pas non plus un père brutal. S’ils ne furent pas, en raison de notre vie laborieuse, mangés de caresses, cajolés, mignotés, au moins ne furent-ils jamais talochés. Et nous eûmes, ma femme et moi, la satisfaction de nous sentir aimés d’eux.