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chure[1] d’un champ voisin, ou bien pénétrait dans le bois pour s’en repaître sans risquer d’être dérangé ; il revenait ensuite, tout penaud, nous trouver, avec du poil et du sang dans sa barbiche grise ; il baissait la tête et remuait la queue ayant l’air de demander pardon.

À vrai dire, le pauvre chien faisait tellement maigre chère à la maison qu’il était bien excusable de se montrer vorace quand le hasard lui fournissait un supplément de nourriture. Maintenant on traite les chiens comme des personnes ; on leur donne de la bonne soupe et du bon pain. Mais à cette époque on leur permettait seulement de barboter dans l’auge qui contenait la pâtée des cochons, laquelle pâtée était fort claire et peu riche en farine. Comme complément, on faisait sécher au four à leur intention une provision de ces âcres petites pommes que produisent les sauvageons des haies et qu’on appelle ici des croyes.

On les jugeait d’ailleurs capables de vivre de leur chasse. Quand Médor, au retour des champs, paraissait affamé, quand, à l’heure des repas, il rôdait autour de la table quémandant des croûtes, mon père demandait à la Catherine.

Ol a donc pas rata ?

Ce qui voulait dire :

― Il n’a donc pas fait la chasse aux rats ?

Ma sœur disait non. Alors mon père :

Voué un feignant : si ol avait évu faim, ol aurait ben rata… (C’est un fainéant : s’il avait eu faim il aurait bien raté).

Et il reprenait :

Enfin dounnes-y une croye.

  1. Synonyme de haie, ce terme est toujours employé dans le langage commun.