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Faure disait :

— Je veux faire un mauvais coup pour aller voir au bagne si c’est pire que là.

Au chantier, je m’efforçais de les remonter en leur racontant quelques bêtises, des histoires salées dont rougissait la servante. Ils riaient, ils en disaient de plus fortes ; le temps passait et le travail se faisait. Être gai, ne pas se ménager soi-même, c’est encore le meilleur moyen d’obtenir beaucoup des autres.

Il nous arrivait, au cours de ces rudes séances de fenaison ou de moisson, par les soirées brûlantes, d’apercevoir M. Frédéric et ses amis installés à boire la bière autour d’une petite table placée exprès dans le parc, au milieu d’un bosquet de grands arbres.

— Ce qu’ils sont heureux, tout de même, ces cochons-là ! faisait le Guste qui, en dehors de leur présence immédiate, n’avait nul respect.

Les autres formulaient aussi des phrases irrévérencieuses ; mais moi je gardais le silence, ou bien je m’efforçais de les calmer quand ils allaient trop loin. Il vaut toujours mieux ne rien dire de ceux sous la domination desquels on est placé. Le pauvre doit savoir s’en tenir à la seule pensée.

Finir un travail pour en recommencer bien vite un autre qui est en retard, faire des journées de dix-huit heures, dormir cinq ou six heures seulement d’un sommeil léger coupé d’inquiétudes, c’est un régime qui n’engraisse pas, mais d’où l’ennui est banni. Ce régime-là, six mois chaque année je le suivais à la lettre. Car, après la rentrée de récoltes, c’étaient les fumures, les labours, les semailles et, jusqu’aux environs de la Saint-Martin, je continuais de me lever dès quatre heures du matin.

Les labours étaient particulièrement durs en raison de la situation du domaine sur la partie montante du