Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.

obligé de lui dire que nous allions l’attendre, ce que nous fîmes en effet, bien que le Guste eût ardemment souhaité le contraire. Le pauvre père Faure bouda pendant huit jours au moins, mais il ne fut pas guéri de sa manie de rappeler des souvenirs : vingt fois même il répéta, faisant allusion à l’incident dont il avait été victime :

— Ma faux n’est pas de ces meilleures : si j’avais eu celle que j’ai cassée il y a deux ans, vous ne m’auriez pas laissé, bien sûr.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce n’était pas toujours que j’avais pour moi le domestique. Il y avait des moments pénibles où je les sentais tous alliés : le Guste, le père Faure, le gamin, la servante ; leurs visages durs exprimaient le mécontentement, l’hostilité ; leurs regards se faisaient haineux : je me sentais l’ennemi. Cela se produisait surtout les jours de grande chaleur. Après le repas de midi, la fatigue, la fainéantise les gagnaient ; il auraient voulu faire la sieste. Moi aussi, j’aurais aimé me reposer : j’étais exténué, accablé autant qu’eux. Mais je réagissais violemment et cherchais des mots pour les entraîner :

— Hardi ! les gas ! dépêchons-nous d’aller charger ; le temps est à l’orage : notre foin pourrait bien mouiller.

Des fois, je les prenais par l’amour-propre.

— Nous allons pourtant finir les derniers : ceux de Baluftière et ceux de Praulière sont plus avancés que nous ; et si nous voulons arriver en même temps que ceux du Plat-Mizot, il faut nous remuer.

Ils se levaient, proféraient pour se soulager de gros blasphèmes :

— Bon Dieu de bon Dieu, ce n’est quand même pas faisable de travailler par des chaleurs pareilles ; il n’y a pas d’animaux qui résisteraient.