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Breure me fut-elle bientôt familière. On y rencontrait toute sorte de bêtes ; les oiseaux y pullulaient ainsi que les reptiles, et les animaux de la forêt y faisaient parfois des apparitions. Je vis un jour toute une famille de gros cochons noirs traverser au galop le bas de la pâture ; je les montrai vite à ma sœur qui, occupée à tricoter, ne les remarquait pas : elle me dit que c’étaient des sangliers. Une autre fois, ce fut elle qui aperçut la première un couple de chevreuils occupés à brouter les petites branches vertes de la haie, comme faisaient nos chèvres ; je courus dans leur direction et ils détalèrent prestement.

On prétendait que la forêt recélait aussi des loups. Un de nos agneaux, vers la fin de l’hiver, disparut au cours d’une séance de garde sans qu’il fût possible de découvrir le moindre indice capable de mettre sur sa trace. La Catherine, que je n’avais pas suivie ce jour-là, déclara qu’elle ne s’était aperçue de rien, que les brebis n’avaient pas eu peur. À tort ou à raison, on accusa de ce rapt mystérieux un loup. Ma sœur ne voulut plus aller seule à la Breure parce qu’elle s’effrayait à l’idée de voir réapparaître le méchant fauve. On m’obligea à l’accompagner constamment et je dois dire que nous n’étions pas plus rassurés l’un que l’autre ; nous ne parlions que du loup et nous en faisions un monstre effrayant capable de tous les crimes. Cependant nous n’eûmes pas l’occasion de faire la différence entre un loup réel et celui de notre imagination : aucun ne se présenta et nul autre agneau ne fut enlevé.

Bien moins rares étaient les lapins : nous en voyions tous les jours courir plusieurs. La plupart du temps notre chien Médor se mettait à leur poursuite et il lui arrivait parfois d’en saisir un. Mais il ne s’avisait pas de nous le montrer ; il se dissimulait derrière la bou-