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ceux qu’il connaissait pour être des ch’tits républicains. On pouvait excuser Primaud parce que c’était de sa part bêtise et non méchanceté : mais je ne trouvais pas que M. Frédéric fût excusable d’employer de tels moyens pour se renseigner, non plus que d’user de son influence ensuite pour faire du mal aux gens de son pays.

Dès que je fus averti, je me défiai du voisin et ne lui dis plus que ce qu’il n’y avait nulle raison de tenir caché.

À cette époque déjà, on appelait Primaud « le mangeux de lard ». Il est mort depuis longtemps ; mais le sobriquet lui a survécu et une sorte de légende s’est attachée à son nom. À Franchesse, on dit encore à présent de quelqu’un qui aime bien le lard : « C’est un vrai Primaud ! »


XXVIII


Ma vie était fatigante et laborieuse, mais j’y trouvais du charme. Étant chef de ferme, je me sentais un peu roi. Mes responsabilités m’inquiétaient, mais j’étais fier de m’asseoir au haut bout de la table, à côté de la miche dans laquelle je coupais de larges tranches au commencement de chaque repas ; j’étais fier surtout d’avoir, au cercle de la veillée, la place du coin, la place d’honneur.

J’étais bouvier en chef et je participais au pansage de tous les animaux. En été, je ne manquais pas d’être dès le petit jour au binage ou à la fauchaison : et cependant j’avais toujours, auparavant, donné un peu de