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XXVII


Je n’étais pas le seul, d’ailleurs, à servir de cible aux risées du maître et de ses amis : mon voisin Primaud, de Baluftière, y contribuait pour une bonne part. Il faut dire que la physionomie de ce brave Primaud incitait de prime abord à la moquerie ; il avait le nez camus, une grande bouche édentée qui s’ouvrait à tout propos pour un gros rire bêtement bruyant ; et il avait une drôle de façon de regarder le ciel d’un œil quand on lui parlait. Avec cela, naïf comme pas un, coupant dans tous les ponts qu’on se donnait la peine de lui tendre. Enfin, il avait encore cette particularité d’aimer le lard à la folie. Or, cette particularité, M. Frédéric la connaissait. Chaque dimanche presque, sous un prétexte ou sous un autre, il mandait au château son métayer et lui faisait servir une énorme tranche de lard. On le laissait seul à la cuisine et il se régalait, comme bien on pense. Après un bon quart d’heure, le bourgeois venait le rejoindre.

— As-tu bien mangé, Primaud ?

— Oh ! oui, monsieur Frédéric !

— Mais un gros morceau de lard reste encore sur le plat ; il ne faut pas le laisser, voyons… Tiens, je sais que tu es de force à l’engloutir.

Et il le lui mettait sur son assiette.

— C’est trop, monsieur Frédéric, j’ai le ventre plein, je ne peux plus…

— Allons, allons, Chose, tu plaisantes ; c’est sans doute que tu as soif ; Julie, donne-lui donc un verre de vin.