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me dit que c’était un grand homme qui s’occupait à faire des livres, et qu’il était célèbre. Un grand homme ! un homme célèbre ! ce petit gros à figure de curé, avec des cheveux ridiculement longs qui lui tombaient sur les épaules.

— Ah ! c’est fait comme ça, un homme célèbre ? dis-je.

Mlle Julie se mit à rire.

— Mon Dieu oui, Tiennon ; il est bien comme les autres, allez, malgré ses capacités. Avec ses grands cheveux, on le prendrait plutôt pour un fou que pour un savant ; et il s’amuse de tout comme un enfant.

Eh bien, je ne trouvais pas très loyale la façon d’agir de ce faiseur de livres. Je lui en voulais d’inscrire mes réponses pour les publier, pour que d’autres bourgeois comme lui en puissent rire à leur tour. Était-ce donc ma faute si je parlais de façon peu correcte ? Je parlais comme on m’avait appris, voilà tout. Lui, qui était resté sans doute jusqu’à vingt ans dans les écoles, avait pu apprendre à tourner les belles phrases. Mais moi j’avais fait autre chose pendant ce temps-là. Et, à l’heure actuelle, j’employais ailleurs et bien aussi utilement que lui mes facultés : car, de faire venir le pain, c’est bien aussi nécessaire que d’écrire des livres, je suppose. Ah ! si je l’avais vu à l’œuvre avec moi, l’homme célèbre, à labourer, à faucher ou à battre, je crois bien qu’à mon tour j’aurais eu la place de rire. J’ai fait souvent ce souhait d’avoir sous ma direction, pendant quelques jours, au travail des champs, tous les malins qui se fichent des paysans.