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Elle le rapporta sans tarder à M. Frédéric, car il me dit, dès qu’il eut l’occasion de me voir :

— Chose, tu as des expressions délicieuses. Je vais recevoir prochainement mes amis Granval et Decaumont ; je te les amènerai et tu tâcheras de trouver des choses drôles comme celles que tu as dites à Mlle Julie, l’autre jour, à propos des coqs.

Il tint parole. Plusieurs fois, dans le courant du mois d’août, il vint le soir avec ces deux messieurs ; ils arrivaient en fumant leurs pipes à l’heure où nous soupions ; ils s’asseyaient et nous regardaient.

— Causez, mes braves, ne faites pas attention à nous, nous disaient-ils chaque fois.

Mais nous n’en faisions rien, bien entendu ; nous ne parlions que pour leur répondre quand ils nous interrogeaient directement. Les domestiques, qui couchaient dans la chambre, avaient la ressource de s’esquiver dès qu’ils avaient mangé ; mais moi, il me fallait leur servir de jouet jusqu’à dix et quelquefois onze heures. Peu leur importait, à eux, de se coucher tard : ils avaient la faculté de se lever de même. Peu leur importait de me faire perdre mon sommeil, car il me fallait être debout le lendemain à quatre heures, comme de coutume. Et c’était bien, comme je le dis, pour que je leur serve de jouet qu’ils venaient s’installer dans ma maison. Ils ne me faisaient parler que pour rire de mon langage incorrect, de mes réponses naïves et maladroites. Quand je disais quelque chose qui lui semblait particulièrement drôle, M. Decaumont tirait son carnet :

— Je note, je note, faisait-il. J’utiliserai ça pour des scènes champêtres dans mon prochain roman.

Mlle Julie étant venue un jour, je me hasardai à lui demander pourquoi M. Decaumont écrivait ainsi les choses baroques que je débitais bien malgré moi. Elle