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autant, puis je sortis du banc et m’avançai au-devant des visiteurs. M. Gorlier me toisa.

— C’est lui, le métayer ? demanda-t-il à son régisseur.

— Oui, monsieur Frédéric, c’est lui.

— Il est bien jeune… La femme ?

— C’est moi, monsieur, dit Victoire en s’approchant.

— Ah !… Vous n’avez pas l’air très robuste ?

— C’est qu’elle a trois enfants, reprit M. Parent, d’une voix craintive. (Le quatrième, né avant terme, n’avait pas vécu.)

M. Frédéric nous demanda notre âge, à ma femme et à moi, et nous questionna sur nos origines. Nous étions très troublés l’un et l’autre de nous voir en face de cet homme puissant et redoutable dont on nous avait tant rebattu les oreilles. Il le vit, et s’en fâcha d’un ton amical.

— N’ayez pas peur, diable, je ne mange personne… Parent m’a dit que vous étiez animés d’excellentes intentions et que vous travailliez bien. Continuez comme cela et nous nous entendrons sans peine. Obéir et travailler, c’est votre rôle ; je ne vous demande pas autre chose. Par exemple, ne m’embêtez jamais pour les réparations : j’ai pour principe de n’en pas faire. Et maintenant, bonsoir ; allez dormir, mes braves.

Il parlait d’une voix lente en grasseyant un peu ; ses petits yeux gris clignotaient constamment ; il avait le teint coloré d’un gros rouge presque violet ; il portait toute sa barbe qui était courte et rare, mais qui restait très noire comme la chevelure, bien qu’il eût dépassé la soixantaine ; (j’ai su depuis que ce beau noir était factice : il se teignait). Sa physionomie, malgré les apparences de bonne santé qu’elle décelait, restait maussade et ennuyée. Ceux qui ont