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ciel, une ligne de pics, qu’on disait appartenir aux montagnes d’Auvergne.

En arrière de notre maison, c’était une vallée étroite où de belles prairies se succédaient à perte de vue, puis un coteau qui nous dominait et sur lequel se voyait le bourg de Franchesse, avec son minuscule clocher carré.

Les premiers jours de notre installation, ces paysages m’apparurent ouatés de brouillards ; je les vis ensuite dans leur décor hivernal, alors que les cultures sont nues, lavées par les pluies ou pailletées de gel, alors que les haies sont comme des bordures de deuil autour des grands arbres qui sont des squelettes ; je les vis tout blancs sous la neige, déguisés comme pour une mascarade ; je les vis s’éveiller frissonnants aux brises attiédies d’avril, étaler peu à peu toutes leurs magnificences, toutes les blancheurs de leurs fleurs, toutes les verdures de leurs plantes ; je les vis au grand soleil de l’été, alors que les moissons mettent leur note blonde dans les verdures accentuées, paraître anéantis comme quelqu’un qui a bien sommeil ; je les vis à l’époque où les feuilles prennent ces tons roux qui sont pour elles le temps des cheveux blancs et qui précèdent de peu de jours leur mort paisible, leur contact avec la terre d’où tout vient et où tout retourne ; je les vis tout gais, tout pimpants aux heures des aubes douces ; je les vis se draper dans la pourpre royale des beaux couchants, puis s’enténébrer lentement et comme à regret ; je les vis enfin, comme dans un décor de rêve, baignant dans le vague mystérieux des clartés lunaires. Et combien de fois, les contemplant, ne me suis-je pas dit :

« Il y a des gens qui voyagent, qui s’en vont bien loin par ambition, nécessité ou plaisir, pour satisfaire leurs goûts ou parce qu’on les y force ; ils ont, ceux-là,