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cessaire. M. Frédéric entend qu’on soit très respectueux, non seulement envers lui, mais aussi envers son personnel : c’est parce qu’ils ont mal répondu à Mlle Julie, la cuisinière, qu’il m’a fait donner congé aux colons actuels de la Creuserie. M. Frédéric ne veut pas qu’on touche au gibier : s’il prenait quelqu’un à tendre des lacets ou à tirer, ce serait le départ certain. Quand il chasse, il ne veut pas qu’on reste là où on pourrait le gêner : il faut suspendre le travail si c’est nécessaire. Il faudra tâcher aussi que le beurre de votre redevance soit de bonne qualité et les poulets bien gras, de façon à contenter Mlle Julie.

Sur l’interrogation de mon beau-père, il nous avoua tout bas que Mlle Julie n’était pas seulement la cuisinière, mais encore la maîtresse de M. Frédéric, qui était célibataire. C’est pourquoi il y avait urgence à la ménager, car son influence sur lui était considérable.

Je ne savais trop que penser de M. Frédéric. Dans la bouche de son régisseur qui, pourtant, le disait très bon, il prenait des airs d’impossible potentat dont les moindres désirs devaient être obéis… Cela m’effrayait un peu.

Je demandai à M. Parent huit jours de réflexion qu’il m’accorda. J’employai ce temps à essayer de connaître l’opinion de Victoire, ce qui n’était pas chose facile, car elle s’ingéniait à ne pas donner d’avis.

— Oh ! fais comme tu voudras, disait-elle de son air le plus froid, le plus indifférent, le plus lassé : moi, ça m’est bien égal.

Elle était très en colère d’être encore enceinte : ça la rendait inabordable. Un jour, que j’insistais plus que de coutume, elle eut pourtant un semblant d’assentiment.

— Dame, si ce domaine te plaît, prends-le, voilà tout…

— Mais toi, est-ce que ça te plaît que je le prenne ?