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ma chemise, à défoncer la baratte, mais non à faire. du beurre. Je racontai ça le lendemain au père Viradon qui me dit que c’était un sort. Pareille mésaventure lui étant advenue dans sa jeunesse, il était allé trouver un défaiseux de sorts qui lui avait donné les conseils suivants :

« Se rendre un peu avant minuit au carrefour de la place de l’Église et poser là un petit pot neuf de six sous plein de cette mauvaise crème ; tourner douze fois autour de ce pot quand sonneraient les douze coups de minuit, en traînant, au bout d’une corde de six pieds de long, les chaînes d’attache des vaches ; au douzième tour, s’arrêter net, faire quatre fois le signe de la croix dans quatre directions opposées et partir au grand galop, abandonnant le pot et rapportant les chaînes.

« Couper à chaque bête un bouquet de poils de la tête, un du garrot, un de la queue, les tremper dans l’abreuvoir tous les jours de la semaine sainte avant le lever du soleil, les porter à la messe le jour de Pâques et les faire brûler dans la cheminée sans être vu… »

— J’ai fait cela et la réussite a été complète, conclut Viradon. Mais le défaiseux a dû agir de son côté.

En dépit de mes embêtements, j’étais secoué d’un fou rire en écoutant le bonhomme raconter, d’un air convaincu, les détails bizarres des cérémonies qu’on lui avait fait accomplir. Il me semblait le voir tourner autour de son pot, en traînant ses chaînes qui fretintaillaient !…

Le défaiseux était mort ; mais il avait laissé à son fils le secret de son talent, et le vieux voisin me conseillait fort d’avoir recours à lui. Je refusai néanmoins, n’ayant pas foi en ces stupidités.

Ce fut au curé que Victoire alla conter nos peines. Il vint le lendemain, aspergea l’étable avec de l’eau bénite et nous dit de n’avoir nulle crainte des sorciers.