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la fin de la veillée, vers neuf heures ; je me disposais à me coucher.

— Qu’est-ce qu’ils veulent nous annoncer, ces sales bêtes, dit Victoire qui tremblait de tous ses membres.

— Pas quelque chose de bon, sans doute, répondis-je d’une voix brusque où perçait la crainte.

Nous avions l’un et l’autre cette conviction qu’il était signe de malheur d’entendre charter les coqs à partir du coucher du soleil et jusqu’à minuit : cette période est celle du repos ; ils doivent être silencieux.

À la réflexion, cette infraction à la règle aurait dû nous sembler naturelle de la part de ces pauvres poulets à l’engrais qui, ne sortant jamais d’une étable enténébrée, perdaient peu à peu le sentiment des heures. Mais nous n’en pensions pas tant, et nous étions troublés parce que nous avions vu, dans notre enfance, se troubler nos proches en pareille occurrence. D’ailleurs, dans le grand silence de la soirée d’hiver, ces cocoricos éclatants avaient un air lugubre, d’autant plus qu’ils se multiplièrent : le coq des Viradon répondit aux nôtres, puis d’autres des chaumières proches, et ce fut pendant une demi-heure un concert de modulations aiguës, comme aux heures qui précèdent l’aube matinale.

Après que les chants eurent pris fin, Victoire donna le sein à notre petit Charles, — car nous avions un troisième enfant depuis deux mois, — mais elle ne cessait pas de trembler ; elle tremblait encore quand elle se mit au lit. Nous eûmes, cette nuit-là, un sommeil troublé et il fut décidé que les malencontreux poulets seraient vendus au plus tôt.

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Comme par hasard, les mois qui suivirent, toute sorte de malheurs vinrent nous frapper. En prenant de l’âge, je me suis libéré d’une bonne partie des