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On commença de battre au domaine de la Chapelle, sur la route de Saint-Plaisir. Nous étions tous bien novices et un peu effrayés de travailler autour de ce monstre dont les roues tournaient si vite. Mais les rôles étaient bien moins durs qu’à présent, en raison de l’allure très modérée qu’observaient les mécaniciens : on ne fut pas long à se familiariser.

Les plus embarrassées furent les femmes qui jamais ne s’étaient vues tant de monde à nourrir. Maintenant elles en ont pris l’habitude ; elles achètent des masses de viande, font, dans de grandes marmites, la soupe pour tout le monde, et, dans d’énormes terrines, des ratatouilles à proportion. Mais trop pauvres étaient les ménagères d’il y a cinquante ans pour songer à cela. Et pourtant la cuisine ordinaire leur semblait peu digne d’être servie à des étrangers ; elles durent se concerter, — celles au moins des trois domaines dont Fauconnet était le maître, — et voilà ce qui advint :

À la Chapelle, au repas du matin, on nous servit de la galette et du tourton. J’ai toujours bien aimé nos pâtisseries de campagne ; celles-ci étaient fraîches et meilleures qu’il n’est d’usage ; je puis donc dire que je me régalai. Mais au repas du milieu du jour il n’y eut encore que de la galette et du tourton, et le soir il en fut de même. D’un repas à l’autre je trouvais ça moins bon ; mon appétit diminuait, et tous mes compagnons étaient dans le même cas. Je crus qu’il y aurait du nouveau le lendemain, qu’on nous ferait de la soupe, des haricots, quelque chose, quoi ! Mais il fallut déchanter. En arrivant le matin, je remarquai que le feu flambait au four et je vis un nouveau stock de galettes et de tourtons qu’on se préparait à cuire. Aux trois repas de ce jour-là, on ne nous servit encore rien autre chose. En raison de la chaleur et de la poussière,