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ou des reproches injustifiés. Des fois, il se versait de grandes rasades d’eau-de-vie, cherchant dans l’excitation de l’alcool un remède à sa mauvaise humeur, à son désœuvrement. Avec moi, il se montrait d’assez bonne composition ; il lui arrivait de m’appeler le matin à la cuisine pour me faire boire la goutte. Par contre, aux repas, il ne me donnait jamais de vin, prétendant que les ouvriers ne doivent pas s’habituer à ça.

Il se transfigurait lorsqu’il allait en route. Il était fier de ses chevaux qui marchaient vite ; il exigeait qu’ils fussent soigneusement pansés, que les voitures soient toujours très propres et que les harnais brillent. Une fois en selle ou en voiture, il devenait l’homme public, Fauconnet le fermier riche, conscient de sa puissance. Il s’en allait aux foires où il se sentait regardé, envié, respecté des marchands, salué bas par les travailleurs. Ou bien il s’en allait dans ses domaines pour donner des ordres, combiner les ventes prochaines ou serrer de près quelques jeunes métayères point trop farouches qui, au maître, n’osaient rien refuser, quoi qu’il fût vieux et plus que laid. Jamais il ne passait, sans sortir, la journée entière.

Une seule fois, je le vis chez lui très gai : ce fut le dimanche de l’ouverture de la chasse. Il avait invité à déjeuner cinq ou six de ses amis avec lesquels il avait chassé le matin, sans compter son fils aîné, le docteur, qui venait de s’établir à Bourbon. Ce fut une ripaille à tout casser, une vraie débauche. J’étais chargé du service de la table que je fis assez maladroitement, car c’était pour moi une nouveauté ; mais ma maladresse même fut utile, puisqu’elle prêta aux convives l’occasion de rire. Or, ils ne cherchaient que cela : les occasions de rire. Après qu’ils eurent bu et mangé ferme, ils se racontèrent mutuellement des histoires scabreuses,