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XXII


De temps à autre, je revoyais Fauconnet dont les cheveux blanchissaient et dont la figure glabre, à présent ridée et constamment grimaçante, avait une expression hideuse. Quand il traversait les Craux, allant à Meillers, il lui arrivait de s’arrêter pour me parler : et je faisais l’aimable en dépit du mépris qu’il m’inspirait.

Il arriva qu’une fois, son domestique étant tombé malade, il vint me chercher pour le remplacer. C’était après les moissons, en août ; je n’avais pas grand’chose à faire dans ma locature : j’acceptai. Quand on est pauvre il faut bien aller travailler où l’on trouve, même chez les employeurs que l’on considère comme des canailles.

Je vis de près, dans l’intimité quotidienne, ce fermier enrichi qui était à la veille de devenir gros propriétaire terrien. Chez lui, il était grossier, original, maussade et grognon. Il promenait son désœuvrement de la cuisine à l’étable et de l’étable au jardin, l’allure débraillée, fumant sa pipe, bâillant, ne se mêlant d’aucune besogne. J’ai pu apprécier, pendant mon séjour dans cette maison, les tristes côtés de l’oisiveté qui n’est vraiment pas enviable. Le travail est souvent pénible, douloureux, accablant, mais il est toujours passionnant et, à cause de cela, il est encore contre l’ennui le meilleur des dérivatifs. Fauconnet s’ennuyait d’une façon atroce. Il était toujours en bisbille avec sa femme et la bonne, auxquelles il faisait, d’un ton rogue, des observations