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― On t’a fait croire des bêtises, imbécile ! Tu en seras pour la peine d’acheter un bidon neuf, encore vingt-cinq ou trente sous. Je ne veux plus revoir celui-ci, tu m’entends bien ? Jette-le dans un fossé, fais-en ce que tu voudras, mais ne le rapporte pas.

Mon nez s’allongeait : je commençais à craindre que la bourgeoise n’eût raison. J’affectais pourtant d’avoir l’absolue certitude de revenir avec ma pièce de cent sous. Et, délibérément, je me rendis chez le pharmacien.

— Bonsoir, monsieur Bardet.

— Bonsoir, mon ami, bonsoir. Qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

― Monsieur Bardet, on m’a dit que vous achetiez les vipères vivantes ; — c’est M. Raynaud, le boulanger, qui m’a dit ça : — j’en ai trouvé une au déchiffre et je vous l’apporte.

― Mais oui, je les achète : M. Raynaud ne vous a pas menti.

Il apporta un grand bocal bleu.

― Tenez, il y en a trois ici ; la vôtre, que je vais mettre avec, fera la quatrième. Et si vous en trouvez d’autres, apportez-les-moi ; je vous les prendrai toutes à cinq sous la pièce.

J’eus un mouvement involontaire et me sentis devenir blême.

― Combien, monsieur Bardet ?

― Cinq sous.

M. Raynaud m’avait dit cent sous…

Le pharmacien sourit dans sa barbe grise :

― Raynaud est un peu farceur, vous ne le saviez donc pas ? C’est cent sous les vingt qu’il a voulu dire.

― Je me suis laissé jouer… Il va me falloir un autre bidon ; j’aurai de la perte. Ah ! bien, vous pouvez croire que je regrette de vous l’avoir apportée !…