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— Moi, c’est la première fois que je l’entends dire, reprit un autre.

— Moi aussi, fis-je.

— Eh bien, essayez, reprit le boulanger ; portez-la-lui vivante et vous verrez qu’il vous la paiera cent sous et peut-être plus.

— C’est qu’elle n’est pas commode à porter vivante…

Il jeta un regard circulaire aux alentours, vit le bidon qui contenait la soupe de mon goûter.

— Mettez-la donc dans votre gamelle.

— C’est une idée : si j’étais certain de la vendre cent sous, je l’emporterais dedans, quitte à en acheter une neuve.

Pour achever de me décider, M. Raynaud affirma une troisième fois.

— Quand je vous dis que c’est la vérité !

Il n’était pas encore l’heure du goûter ; néanmoins, je mangeai ma soupe à la hâte, sans même prendre le temps de la faire chauffer ; puis, à l’aide d’un bâton de noisetier fendu, je saisis le reptile et le glissai, non sans peine, dans le bidon vide que je recouvris aussitôt de son couvercle. Le boulanger, les fagoteurs me regardaient faire en ricanant.

— Mon vieux, vous paierez à boire, dit en s’éloignant M. Raynaud, je vous ai fait gagner votre journée. Surtout, dites bien au pharmacien que vous venez de ma part.

Tout joyeux de l’aubaine, je quittai le chantier plus tôt qu’à l’ordinaire et passai chez nous pour mettre des effets propres. Ma femme, à qui je contai l’aventure, se mit à pousser les hauts cris.

— Sors-moi bien vite ça de la maison ! Une mauvaise bête… ; si elle allait soulever le couvercle, se glisser sous les meubles !…

Elle ajouta :