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égal, je suis bien aise de t’avoir revu avant de mourir…

Il me regarda longuement avec des yeux mouillés ; j’eus de la peine à m’empêcher de pleurer.

Le malheureux ne se trompait pas : il mourut trois jours après, par une triste aube neigeuse.

Je le regrettai sincèrement, car depuis que j’étais à même de l’apprécier sans passion, avec ma pleine raison, j’avais compris qu’il était un très brave homme à qui la vie n’avait pas été tendre : son frère avait vécu à ses dépens, ses maîtres l’avaient grugé, sa femme l’avait malmené. C’est seulement dans ses rares séances prolongées d’auberge qu’il avait trouvé quelques satisfactions.

Ma sœur Catherine, mariée à Grassin, ne put assister à l’enterrement ; car elle était, depuis un an, placée à Paris avec son époux.

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À la suite de ce deuil, il y eut encore une révolution dans la maisonnée. Ma mère, qui était depuis quelque temps à couteaux tirés avec le Louis et sa femme, chercha à indisposer mon parrain contre eux, dans le but d’arriver à rendre inévitable la séparation des deux ménages. Mais, sauf quelques dissentiments passagers, mes deux aînés s’entendaient assez bien ; ils jugèrent qu’ils s’en tireraient encore mieux à rester ensemble tant que leurs enfants ne seraient pas élevés. Alors, toujours intransigeante et méchante, ma mère déclara qu’elle partirait. Et, en effet, elle loua à l’entrée du bourg de Saint-Menoux, sur la route d’Autry, une pauvre chaumière dans laquelle elle se retira pour y vivre la vie des femmes seules et sans ressources : glaner, laver les lessives, faire toutes les corvées désagréables et pénibles qui se présentaient. Tant qu’elle fut en état de travailler, elle laissa dormir dans un coin de son ar-