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une campagne acharnée en faveur des conservateurs.

Je dis à ma femme :

— Écoute, en fait que de bien, nous n’avons guère que nos deux vaches, je ne pense pas qu’on vienne nous les enlever… Et il n’y a pas que des braves gens pour soutenir les candidats du curé : Fauconnet, qui est certainement le plus voleur de Bourbon, les soutient aussi…

— Tu ne veux pas comparer M. Fauconnet aux abrutis et aux fainéants qui crient dans les rues ?

— Oh non ! je leur ferais injure, dis-je en riant ; ils ne sont pas de sa taille !

Au fond, je reconnaissais néanmoins que ces voyous faisaient grand tort aux candidats républicains. J’ai remarqué cent fois depuis que les plus terribles ennemis de ceux qui représentent aux élections les idées de progrès sont les gens à réputation douteuse qui se mettent en vue sous couleur de les soutenir. Les meilleurs programmes, les meilleurs candidats se trouvent salis de ces contacts ; un certain discrédit rejaillit sur eux dans l’esprit au moins de ceux qui, comme les neuf dixièmes des paysans, et moi-même, basent leur opinion sur le degré de sympathie qu’ils éprouvent pour ceux qui se font les apôtres des diverses idées dans le pays.

Toute la journée du samedi, je fus tiraillé de sentiments contraires ; mais le dimanche je revins à ma résolution première : je mis dans l’urne le bulletin de la liste républicaine. Ce fut ma façon de remercier le gouvernement nouveau d’avoir mis le sel à deux sous.

Par exemple, quand on nous fit revoter six mois plus tard pour nommer le président de la République, je n’agis pas selon les mêmes principes. Tous les personnages influents, les propriétaires, les régisseurs, les gros fermiers, les curés, s’étaient chargés de dire et de répéter partout que les campagnards devaient porter leurs