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il m’engagea en effet à voter pour ces derniers.

— Dites-le bien à vos amis, à vos voisins, conclut-il, il n’y a que les républicains qui aient le désir de voir améliorer votre situation. Les autres sont de gros bourgeois qui trouvent excellent l’ancien ordre de choses ; ils ont lieu d’être contents de leur sort, et croyez que le sort des autres leur importe peu.

J’étais donc décidé à suivre ma première impression que venait corroborer l’opinion de M. Perrier. Mais l’avant-veille du scrutin, pendant que j’étais au travail, le curé vint chez nous et raconta à ma bourgeoise que tous les républicains étaient des canailles. Il lui cita plusieurs individus de mauvaise réputation, fainéants et ivrognes, qui criaient bien fort : « Vive la République » dans les rues de la ville, les soirs où ils avaient bu.

Si ces gens-là arrivent au pouvoir, avait dit en terminant le curé, il n’y aura de sécurité pour personne ; ils prendront le bien des braves gens et ils vivront en rentiers à la sueur du front des autres. Tous les électeurs honnêtes voteront pour ceux qui représentent les bons principes, c’est-à-dire pour les conservateurs.

Victoire me raconta cela le soir même.

— Voilà, fit-elle, ce que M. le curé m’a chargé de te rapporter. À présent, fais-en ce que tu voudras.

Cela me mit bien en peine, car je savais qu’effectivement tous les pas grand’chose de la ville affichaient à tout propos leur républicanisme. Mais je réfléchis que les candidats à la députation ne devaient pas ressembler aux quelques criards et soulauds que nous voyions ici. D’ailleurs, M. Perrier, cet excellent homme, intelligent et instruit, était républicain. Bien d’autres bons vivants que je connaissais étaient républicains aussi. Et puis, j’avais appris que l’illustre Fauconnet menait