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qu’on voyait dans le jour si bien peignées, si bien corsetées, si bien mistifrisées.

— Vrai, me disais-je, je ne me laisserai plus prendre aux apparences, oh non !

Je devais pourtant m’y faire prendre terriblement, plus tard !

Sitôt rentré de ma tournée du matin, je quittais ma blouse et mon pantalon propres et réendossais mes effets de travail ; je donnais une dernière fourchée aux vaches et faisais leur litière ; puis, ayant mangé une écuelle de soupe à l’oignon et trois pommes de terre sous la cendre, je m’en allais chez le père Viradon, un vieux locataire voisin, où, moyennant huit sous par jour, je battais au fléau de neuf heures à trois heures. À la suite de cette séance, je mangeais une autre soupe quelconque avec un mijotage de citrouille ou de haricots ; puis c’était le pansage ; puis la tournée en ville et vingt autres besognes qui me gardaient jusqu’à sept heures ; à ce moment, je m’installais au coin du feu, à mes travaux d’outillage, et je m’efforçais de prouver à ma femme que nos affaires marchaient bien et que nous n’aurions pas de peine à nous en tirer.

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En avril, quand survinrent les couches de Victoire, ce fut bien une autre affaire : il me fallut la soigner et me charger de toutes les besognes du ménage. J’étais allé voir mes parents le mois précédent et j’avais demandé à ma mère de venir pour quelques jours quand l’événement se produirait. Elle avait consenti ; mais une maladie de deux de mes petits neveux lui fut un prétexte à ne pas tenir sa promesse. La mère Giraud était souffrante et ne pouvait guère s’absenter à cause de ses vaches. Il n’y eut donc, en dehors de la sage-femme, que la vieille voisine Viradon pour nous aider quelque peu et nous donner des conseils expérimentés.