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louai pour trois ans. Nous allâmes nous y installer pour la Saint-Martin suivante, juste un an après notre mariage.

Ah ! nos pauvres six cents francs, comme ils furent vite employés ! L’achat de deux vaches qui nous étaient nécessaires en usa la plus grande partie. Et, pour nous munir d’une charrette, d’une herse, des objets de ménage indispensables, d’une provision de combustible et de quelques mesures de seigle, il fallut emprunter au père Giraud. Victoire, qui avait été habituée chez elle à un certain confortable, souffrit plus que moi de nos débuts pénibles. Il est vrai que son caractère froid et concentré était cause qu’elle ne montrait guère sa satisfaction, alors qu’elle savait bien quand même faire valoir ses plaintes ; j’eus souvent l’occasion de lui dire qu’elle était portée en ce sens à une exagération fâcheuse. Elle disait en geignant :

— Il me faudrait bien une deuxième marmite… J’aurais besoin de vaisselle… Je ne peux pas faire sans baquet mes savonnages…

On achetait, et il manquait toujours quelque chose. Elle ne tarda pas, d’ailleurs, de se préoccuper des langes et du berceau : car elle était enceinte. Bien que n’étant guère tranquille moi-même, je m’efforçais de la réconforter.

C’est surtout nos tête à tête des veillées d’hiver qui furent gros d’inquiétudes et tristement monotones. J’eus de la peine à m’y faire, moi qui étais habitué à l’animation des maisonnées nombreuses. J’évitai pourtant, grâce à une activité jamais interrompue, de me laisser gagner par l’ennui. Je façonnai un tas d’objets utiles : mon araire d’abord, puis une échelle, puis une brouette, et enfin plusieurs râteaux pour les fenaisons. J’en eus pour tout l’hiver.

Au petit jour et le soir vers quatre heures, Victoire