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redevint pensive un instant, une nuance de désappointement qui me frappa.

— Eh bien, dame, il faudrait que je le voie, cet ami ; sans le connaître je ne peux rien vous dire.

— Il se fera connaître… Mais le métier ne vous déplairait pas trop ?

— Pourquoi me déplairait-il ? Ne suis-je pas paysanne aussi…

Il y eut un moment de silence pénible. Victoire, assise au coin de la cheminée, tisonnait le feu et ne détournait plus les yeux de la flamme rose. J’étais, moi, adossé à une vieille commode de chêne, tout près de la porte d’entrée ; et les sons qui frappaient mes oreilles avaient le don de me faire tressaillir : c’étaient le crépitement des branches qui flambaient, le tic-tac de l’horloge, le chant d’un grillon dans le mur, le gloussement d’une poule dans la cour, tous bruits très familiers, par conséquent. Mais j’avais le cerveau troublé, une idée qui m’était venue dans la semaine s’y agitait avec intensité. Et j’eus l’audace inouïe de l’exprimer tout d’un trait.

— Eh bien, non ! Je ne veux pas mentir plus longtemps !… Ce n’est pas pour un autre, c’est pour moi que je parle en ce moment, Victoire. M’accepteriez-vous pour époux ?

Elle se leva d’un bond, se tourna à demi de mon côté ; ses yeux se baissèrent vers les larges pierres noires qui dallaient la pièce et je vis une légère coloration animer ses joues au teint bistré.

― Vous ne me déplaisez pas ; mais je ne peux vous donner de réponse définitive sans parler à mes parents. Allez dimanche au bal à Autry ; je m’arrangerai pour y paraître et je vous dirai si vous devez vous présenter ou non.

Je balbutiai un « merci » et me retirai sans même