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pas une fille. Je répondis qu’il en avait même deux, dont l’une mariée et l’autre encore à prendre. Alors Boulois m’avoua qu’un parent lui avait montré Victoire pour une foire de Souvigny en lui disant qu’elle ferait bien son affaire. Il me fit subir ensuite un véritable interrogatoire ayant pour but de le fixer sur le caractère et les habitudes de la jeune fille en question. Et, quand je partis, il me chargea de la pressentir afin de savoir si elle consentirait à se marier avec un garçon de la campagne.

— Si elle a l’air de dire que oui, tu lui parleras de moi, conclut-il.

Je réfléchis beaucoup à cela toute la semaine. Pour plusieurs raisons, cette mission délicate m’ennuyait. Néanmoins, dans l’intention de la remplir, je me rendis le dimanche suivant à la maison forestière. Le hasard me favorisa ; Victoire et sa mère étaient allées à la messe du matin et, dès qu’elles furent rentrées, le père Giraud partit pour se rendre à celle de dix heures. Je partis avec lui, faisant le simulacre de m’en retourner à Fontbonnet, et m’efforçant d’avoir un air très naturel. Mais je revins une heure plus tard : c’était le moment propice, car Victoire était seule à la maison, sa mère ayant conduit pâturer les vaches dans une clairière. Après quelques préambules embarrassés, je lui dis que j’avais désiré la voir en dehors de la présence de ses parents pour lui demander si un paysan lui plairait comme mari. Elle fixa un instant sur les miens ses grands yeux noirs ; interrogateur et profond, son regard me fouillait l’âme, mais elle ne répondait pas.

— C’est un de mes amis qui m’a chargé de vous poser cette question, ajoutai-je.

— Ah ! c’est un de vos amis…

Je crus discerner dans ces mots, après lesquels elle