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Je sortis tout penaud et n’essayai plus de revenir à l’assaut de cette vertu trop farouche. J’eus d’ailleurs, à la suite de sa défense énergique, un réveil de conscience qui me montra combien ce serait de ma part une action mauvaise que de risquer par sot amour-propre, plus encore que pour quelques problématiques instants de satisfaction, de causer le malheur de sa vie. Je me sentis coupable et méprisable, et m’efforçai de mériter mon pardon en continuant de me montrer prévenant envers Suzanne sans jamais plus lui parler d’amour.

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À quelque temps de là, j’eus une nouvelle aventure galante qui tourna encore à mon désavantage. Il y avait dans un domaine voisin, à Toveny, une autre servante déjà vieille, aux allures indolentes et aux cheveux blond filasse, qu’on appelait la grosse Hélène. De la Billette même, j’avais entendu parler de cette fille qui passait pour très légère de mœurs. Ici, c’était bien autre chose. Au travail, entre hommes, on s’entretenait tous les jours d’elle. On rapportait, aux heures de fatigue, pour retrouver la gaîté, toutes les histoires scabreuses dont elle avait été l’héroïne.

— Elle n’en refuse que deux, disait le maître, celui qui ne veut pas et celui qui ne peut pas.

Je souhaitais fort la connaître mieux.

Or, un jour, comme nous étions en train de déjeuner, elle vint à Fontbonnet pour réclamer trois taureaux échappés du pâturage et égarés. Elle s’assit, point gêneuse, causa de tout avec assurance et répondit carrément aux blagues du maître et de ses garçons. Elle sortit en même temps que moi. Dehors, je pus lui parler seul à seule et j’en profitai pour lui servir quelques bêtises choisies parmi les plus raides que je connusse, lesquelles n’eurent pas l’air de la troubler le moins du