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dant des petits services d’ami, comme de lui éviter les plus mauvaises besognes aux champs et à la maison, d’aller à sa place quérir l’eau et le bois quand il m’était possible. Elle ne tarda guère de me regarder avec tendresse, rien qu’à cause de ces petites attentions. Je ne représentais pas trop mal, d’ailleurs. J’étais de taille moyenne, plutôt trapu ; mon organisme décelait la vigueur ; et mon visage un peu allongé, au nez fort, au front couvert, était empreint de virilité et d’énergie. Il était tout naturel que je plaise à la petite. Quoi qu’il en soit, le hasard nous ayant fait rencontrer dans l’étable des vaches, un soir, à la tombée de la nuit, je lui dis qu’elle était jolie, que je l’aimais, et je l’embrassai avec autant d’effusion que j’avais embrassé Thérèse deux ans et demi auparavant. Elle en parut si heureuse que je crus bien qu’elle allait défaillir dans mes bras. Je m’en tins là, craignant l’arrivée du maître qui rôdait aux alentours.

Mais un dimanche que nous étions seuls à la maison, je recommençai de lui conter fleurette et, après des préludes peut-être trop courts, je voulus glisser ma main sous ses jupes. Elle fut debout d’un bond ; une flamme étrange passa dans ses yeux et, de toute la force de son petit bras nerveux, deux fois de suite elle me souffleta… Puis, s’étant mise en défense derrière le dos d’une chaise, elle dit d’une voix sifflante :

— Salaud, va ! C’est pour ça que vous me flattiez ; vous vouliez vous amuser de moi… J’ai autant d’honneur que n’importe laquelle, vous le saurez… Et si jamais vous vous ravisez de me toucher, je le dis tout de suite à la bourgeoise. Vous avez compris ?

— Méchante !… Méchante !… fis-je bêtement, frottant ma joue rouge et cuisante.

— C’est bien votre faute si je vous ai fait mal, reprit-elle un peu radoucie. Ça vous apprendra à me respecter.