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que chez nous, en raison de l’indépendance absolue dont je jouissais aux heures libres. Pourtant, je n’avais pas la ressource de demander de l’argent pour sortir. Je cessai complètement d’aller au bourg de Saint-Menoux, ce qui put sembler naturel à mes anciens amis, étant donné que je n’habitais plus la commune. Mais je n’allai pas davantage au bourg d’Autry, dont je dépendais. J’évitai même les vijons, dans la crainte de trouver des gens qui me voudraient faire jouer. Ayant la poche vide, j’étais forcément sage.

Je passai mes dimanches d’été à rôder dans la campagne et dans la forêt : car le domaine côtoyait le point terminus de Gros-Bois. Il y avait par là une maison forestière où résidait un garde déjà vieux, le père Giraud, avec qui je ne tardai pas à me lier. J’eus l’occasion de lui rendre différents services, de l’aider à couper de l’herbe pour ses vaches dans les clairières de la forêt et à moissonner le carré de blé qu’il avait au bas de son jardin. Je trouvais toujours chez lui à m’occuper quelques heures chaque dimanche. La plupart du temps, il offrait un verre de vin quand le travail était fait et je restais avec lui une bonne partie de la journée. Le père Giraud avait un fils soldat en Afrique dont il me parlait souvent, une fille mariée à un verrier de Souvigny, et enfin une seconde fille non mariée, encore avec lui. Mlle Victoire était une brune aux yeux noirs, au teint bistré, à l’air froid comme sa mère. J’étais peu familier avec les deux femmes : la fille du garde me semblait être d’ailleurs d’une situation trop supérieure à la mienne pour que je tente de lever les yeux sur elle.

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Par exemple, je les levais beaucoup, les yeux, sur la servante qui était avec moi à Fontbonnet. C’était une maigriote à l’air ingénu qui avait les plus belles dents