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maisonnée. Forcément, il faudrait alors que je gagne ma vie ailleurs. Je préférais commencer plus jeune.

J’allai donc à la foire de Souvigny, avec un épi de froment sur mon chapeau. Je me louai à l’année dans un domaine d’Autry, à Fontbonnet, pour la somme de quatre-vingt-dix-francs. C’était, à l’époque, le prix des bons domestiques.

Le matin de Saint-Jean, je fis un ballot de mes effets, je pris ma faucille et ma faux, et quittai pour jamais le toit familial, un peu ému d’avoir entendu sangloter ma mère et d’avoir vu mon père pleurer silencieusement.


XVI


Il est nécessaire de changer de vie pour apprécier justement les bons côtés de sa vie ancienne ; car, dans la monotonie de l’existence journalière, on jouit inconsciemment des meilleures choses ; elles semblent tellement naturelles qu’on ne conçoit pas qu’elles puissent ne plus être ; seuls, les ennuis frappent parce qu’on se figure qu’ils n’existent pas partout. Le changement de milieu, en supprimant les bonnes choses qu’on n’appréciait pas, fait ressortir leur importance, et il montre que les embêtements se retrouvent toujours : c’est à peine s’ils changent de forme.

Je constatai cela les premières semaines de mon séjour à Fontbonnet et il y eut des instants où je regrettai d’avoir quitté ma famille. Je finis pourtant par m’habituer tout à fait et même par me trouver mieux