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de ne pas nous mettre en prison. Il eut gain de cause : en raison des coups de couteau, Aubert fut condamné à vingt-cinq francs d’amende ; tous les autres à seize francs.

Étant sortis, nous allâmes manger tous ensemble dans un caboulot de la place du Marché, après quoi nous nous mêmes en route pour l’étape de retour, qui se passa bien, sauf que plusieurs avaient les pieds écorchés et que tout le monde était très fatigué. Le petit cordonnier essaya pourtant, à différentes reprises, de se payer nos têtes ; mais ses amis n’eurent pas l’air de le soutenir et les rapports restèrent cordiaux entre les deux groupes réunis.

On fut bien content chez nous de ce que je n’avais pas de prison ; néanmoins, la solde de l’amende et des frais parut énorme.

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Le tirage au sort approchait : mes parents m’appelèrent à part un beau jour pour m’annoncer que je n’avais pas à compter sur un remplaçant. Ils me détaillèrent leurs raisons ; le déménagement, la mort de ma grand’mère avaient causé des dépenses considérables ; mes frères avaient sept enfants à eux deux, ce qui augmentait les charges de la maisonnée ; la canaillerie de Fauconnet avait causé bien du tort ; je faisais depuis longtemps de grands frais d’auberge ; et, enfin, ce maudit procès était survenu qui coûtait cher. À cause de tout cela, il ne leur avait pas été possible de réunir les cinq cents francs nécessaires pour m’assurer au marchand d’hommes ou à la cagnotte mutuelle qui existait à Saint-Menoux[1]. Cette révélation m’abasourdit, car j’avais toujours compté, malgré tout, jouir

  1. Dans les gros villages les parents des conscrits versaient préalablement une somme convenue qui servait à acheter des remplaçants à ceux que le sort désignait pour partir.