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— Eh bien, on y va ?

Le petit cordonnier brun répondit :

— Nous vous attendions… seulement, on commençait à craindre que vous n’ayez mangé le mot d’ordre.

Nous nous dirigeâmes de compagnie vers le grand bâtiment de briques rouges. On nous fit entrer dans une salle carrée, blanchie à la chaux et garnie de bancs, où il nous fallut attendre une grande heure et demie en compagnie de six roulants et de trois braconniers. Notre tour vint enfin, après tous les autres, et nous pénétrâmes à la file dans la salle du tribunal. Dans le fond, sur une sorte d’estrade élevée, trois hommes, en robe noire, étaient assis. Au mur, derrière eux, un grand Christ de plâtre trônait, les dominant. L’homme du milieu nous interrogea ; c’était un gros rougeaud à figure rasée dont les yeux clignotaient derrière des lunettes. Nous avions tous des allures de bêtes prises au piège ; nous lui répondîmes d’un ton si humblement plaintif qu’il dut se demander si nous étions bien les mêmes fous furieux qui s’étaient tant cognés quinze jours auparavant. Après que l’interrogatoire fut terminé, se leva un autre homme en robe, un jeune avec des favoris noirs, qui siégeait sur une petite estrade placée à gauche de celle des juges et un peu en avant ; il flétrit notre abominable conduite, prétendit que nous étions des crapules, des brigands, — il traita même Aubert d’assassin, — et conseilla au tribunal de ne pas hésiter à nous appliquer toutes les rigueurs du Code : ce serait d’un excellent exemple. Mais ce fut après le tour de notre avocat, un petit barbu qui avait l’air de se ficher du monde. Il traita de gaminerie sans conséquence notre lutte épique, dit que nous étions tous d’excellents garçons, d’inoffensifs petits jeunes gens dont le seul tort avait été de boire un verre de trop certain jour, et il supplia les trois hommes du fond