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À l’heure dite, nous nous trouvâmes réunis tous, artisans et campagnards, sur le lieu de la lutte. Le maréchal frappé par Aubert avait un bandeau sur la joue ; un autre avait le bras en écharpe ; plusieurs boitaient ; des gnons, des bleus, des meurtrissures se voyaient encore comme de convaincantes, sinon glorieuses cicatrices, sur tous les visages. Deux gendarmes arrivèrent bientôt, dont l’un avait des galons blancs sur le bras : c’était le maréchal-des-logis, chef de la brigade de Souvigny. Ce fut lui qui mena l’enquête. Ses traits accentués, son air froid, sa longue moustache noire et sa barbiche le faisaient paraître sérieux et méchant. Il se fit expliquer par l’aubergiste dans quelles conditions la rixe s’était engagée ; puis il questionna le garde-champêtre ; puis enfin il nous interrogea séparément, en commençant par les blessés. Sur un grand carnet il crayonnait à mesure les réponses. Ah ! notre morgue du dimanche était loin ! Nous nous regardions, amis et ennemis, sans haine ; nos yeux baissés, nos physionomies atterrées disaient seulement combien nous regrettions cette bêtise aux si vilaines suites. Je remarquai qu’Aubert était le plus pitoyable de tous. Comme il était le seul à s’être servi d’un couteau, le maréchal-des-logis l’interrogea plus longuement ; mais le malheureux, affalé, livide, tremblait si fort qu’il se trouvait dans l’impossibilité de répondre autrement que par monosyllabes. Les plus malins lorsqu’ils ont un verre dans le nez sont presque toujours les plus lâches, les plus couards aux heures difficiles.

Je dois dire que ceux du bourg firent meilleure impression que nous à l’interrogatoire : ils s’exprimaient mieux et avec plus de facilité, étaient moins impressionnés. Et il en fut de même au jour du jugement. Les campagnards, habitués à travailler solitairement en pleine nature, font toujours mauvaise figure en