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L’aubergiste intervint, nous supplia de ne pas nous battre, puis nous invita à sortir, nous, campagnards, derniers arrivants. Mais cela ne faisait pas notre affaire.

— Nous avons le droit d’être là aussi bien qu’eux, je suppose ! dit l’un de nous que nous approuvâmes tous.

Cependant, avec des ménagements, le bistro nous poussait dehors peu à peu. Les autres s’avancèrent :

— À la porte ! firent-ils. À la porte !

Et, sans nous frapper, il nous bousculèrent…

— Ah, c’est comme ça ! fit Aubert. Eh bien, vous allez voir !

En même temps il assénait un grand coup de poing sur la tête du petit cordonnier brun qui, dans le clan opposé, se démenait le plus.

Ce fut le signal d’une mêlée générale. Les coups de poing, les coups de pied pleuvaient, en même temps que continuaient les insultes. Et l’aubergiste nous poussait tous dehors, amis et ennemis, avec une douceur obstinée. Quand les derniers furent à proximité du seuil, il ferma la porte si brusquement que deux ou trois dégringolèrent. Dans la rue, que balayait un vent glacial précurseur de la neige, la lutte continuait furieuse : on entendait :

― Tiens, attrape ça, bounhoumme !

― V’là pour toi, bouif !

― Cochon ! il m’a cassé deux dents !

― Le nez me saigne, laisse-moi ! me dit un maçon à qui je venais d’appliquer un formidable gnon.

Aubert serrait à l’étouffer un ouvrier maréchal qui, impuissant, le mordait au bras et à la figure ; un charron vint délivrer le maréchal et, combinant leurs efforts, ils renversèrent mon grand copain. Lui, au paroxysme de la colère, sortit son couteau, en porta un