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Un de mes intimes, un grand, nommé Aubert, qui n’avait pas froid aux yeux, leur lança je ne sais plus quelle injure cinglante. Ils ripostèrent. Finalement, on en arriva à s’engueuler ferme de part et d’autre ; et, comme nous étions de beaucoup les plus nombreux, nous les chassâmes de la cour où était le jeu. La partie recommença après leur départ et notre groupe fut favorisé : Aubert gagna, moi aussi, un autre encore. Naturellement, nous nous mîmes à faire la noce. Vers huit heures du soir, quand nous eûmes mangé, le diable nous tenta d’aller dans l’auberge où ceux du bourg étaient réunis autour du billard. Notre entrée fit sensation. Il y eut un moment de silence pendant lequel nous nous observâmes mutuellement. Enfin, l’un de ceux que nous avions expulsés le matin, un petit cordonnier brun, prononça d’une voix forte :

— Les porchers ne sont pas admis ici !

— Répète voir, feignant, répète voir que j’sons des porchers ! dit Aubert en roulant des yeux furieux.

— Oui, oui, reprit l’autre, vous êtes des porchers, des pantes, des tas de sacrés bounhoummes !

Un de ses camarades, mettant la main devant son nez, lança :

— Misère ! ça sent la bouse de vache !

Et un troisième :

— Ce n’est pas étonnant ; ils se lavent les jambes une fois par an ; ils gardent une couche de bouse l’hiver pour se tenir chaud !

La partie de billard était interrompue : ils étaient dix à présent à nous regarder, à nous huer. Nous nous efforcions de faire bonne figure en leur renvoyant leurs insultes grossies le plus possible. Aubert, qui était fier de sa force, rageait :

— Venez donc le dire dehors, sacrés feignants que vous êtes, bourgeois manqués, arsouilles !