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C’est moi qui ai mis le siége devant Narbonne et je ne m’en retournerai pas avant de l’avoir prise de vive force ; car Aymeric est allé en France pour faire armer son fils par Charles, puisque lui-même est vieux et faible et hors d’état de porter son armure ou de conduire une armée.

— Païen, tu en as menti, riposta Guillaume. Aymeric est aussi vaillant que sage ; il est toujours redoutable dans la bataille, car il porte encore fort bien son armure et sait très-bien pourfendre un ennemi. Que Dieu me soit en aide ! tu dis des folies, et tu en as commis une plus grande en amenant ici tes païens. Avant que le soleil soit couché ou vêpres sonnées, tu t’en repentiras amèrement.

À ces mots Thibaut faillit devenir fou de rage ; il répondit plein d’aigreur.

— Hola, valet, le diable t’est-il entré au corps ? Tu es si jeune qu’il ne t’a pas encore poussé de barbe. Comment t’appelles-tu ? Ne me le cache pas.

— Tu vas savoir la vérité, jamais pour païen au monde je ne cacherais mon nom. Je m’appelle Guillaume, je suis né à Narbonne et fils du noble Aymeric. Tu n’as qu’à prier ton Dieu qui t’a conduit ici, tu en auras besoin ; car je te hais et pour moi-même et pour mon Dieu.

— Et moi aussi je te hais, répondit l’Esclavon.

Ils piquent les chevaux de leurs éperons dorés, ils brandissent les épieux niellés et se portent de grands coups sur leurs écus dorés qu’ils trouent et mettent en pièces. Le coup de Guillaume fut le mieux asséné ; il faussa et rompit le haubert de son adversaire et lui planta son épieu dans le corps. Il espérait l’abattre, mais il n’y réussit pas à son grand regret. La lance se brisa près du poignet.

Quand le païen se sentit blessé, il jeta son écu par terre et se mit à fuir vers la mer. Guillaume, tout étonné, enfonce les éperons dans le flanc de Baucent. Il rattrape Thibaut au milieu d’une prairie, et tirant l’épée à la lame tranchante, il l’en frappe sur son heaume pointu, dont il fait voler