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— Hâtez-vous, dit celui-ci à ses hommes, il me semble que mon frère Bernard a besoin de nous. Que Dieu le garde !

Les gens de Guillaume ne se firent pas prier ; ils montèrent aussitôt à cheval, et Guillaume lui-même marcha devant eux, tout armé, sur le léger Baucent.

Cependant les Sarrasins poursuivent Bernard en lui lançant maint javelot aiguisé, des lances et d’autres projectiles. Son écu, qu’il avait jeté sur ses épaules, en est tout percé. Il était bien près d’être tué, lorsque voici l’avant-garde de nos Français qui descend sur l’ennemi. Guillaume Fièrebrace est à leur tête, et il pique Baucent des deux éperons. Il frappe un païen sur son écu vermeil qu’il perce de part en part. Il lui déchire le haubert et l’abat roide mort. Aymeric de son côté en tue quatre.

Quand les lances se brisèrent à la fin, les Français tirèrent les épées fourbies et se mirent à frapper fièrement. Il en coûta la vie à maint païen. Que de lances brisées, que de targes trouées, que de chevaux sans selle !

— Dieu ! fit Guillaume, voilà la guerre commencée. Que le Seigneur ait pitié de nos gens ! Et où est donc Thibaut d’Esclavonie qui se pique d’être maître dans Narbonne ? Si je puis le tenir, aujourd’hui même Orable lui sera disputée, la belle à la peau blanche et douce, qui est à Orange dans le palais de marbre.

À peine avait-il prononcé ces paroles, que voilà Thibaut le roi d’Esclavonie, chevauchant richement armé en tête de ses gens qu’il précède de la portée d’un trait d’arbalète. En le voyant, Guillaume piqua vers lui, criant :

— Dis-moi païen, par ton Dieu Mahomet ! quel est ton nom ? Ne me trompe pas.

— Tu sauras la vérité, répondit le roi. J’ai nom Thibaut, je suis né en Arabie ; j’ai sous ma domination les ponts et les gués d’Afrique, les ports et les cités d’Esclavonie, et je suis émir de toute la Phrygie.