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— Allez, et que Dieu vous garde ! firent-ils.

Là-dessus il continua à s’avancer pas à pas, ayant l’œil au guet.

Or, seigneurs barons, entendez l’aventure qui lui arriva.

Il aperçut un Sarrasin venant à sa rencontre ; c’était un cavalier de haut parage, neveu du roi Giboé, chevauchant un destrier pommelé qui valait bien tout l’or d’une cité. Il était à la tête de vingt païens armés qui venaient de fourrager dans la montagne. Leur chef marchait en avant d’eux, à la distance d’un trait d’arbalète.

Lorsque Bernard le vit, il fut bien content et remercia Dieu de lui envoyer ce qu’il désirait le plus. Il piqua son cheval des éperons et courut droit au païen en criant :

— Sarrasin, vous êtes mort.

Celui-ci resta tout ébahi à ces paroles, et avant qu’il eût eu le temps de se mettre en défense, Bernard le frappa si fort de sa lance niellée qu’il lui perça l’ecu, déchira son haubert et le hoqueton rembourré qu’il portait dessous. Il lui passa la lance à travers le corps et le jeta mort par terre. Alors il saisit le cheval par le frein et s’en retourna vers ses hommes, la lance à la main, toute teinte du sang du Turc ; de manière que ni Guillaume ni son père, Aymeric le barbu, n’eurent un reproche à lui faire.

Lorsque les Sarrasins virent leur chef tué, la peur les mit en fuite. Ils ne s’arrêtèrent qu’au camp, où ils donnèrent l’alerte. Les cors et les trompettes sonnèrent et les païens coururent s’armer. Un gros corps de troupes sortit du camp, le roi Thibaut à leur tête, faisant porter son oriflamme devant lui. Ils courent après Bernard pour lui ôter la vie, et si Dieu ne se souvient de lui, il aura de la peine à retourner auprès de son frère Guillaume.

Quand Bernard se vit ainsi poursuivi, il prit le cor qu’il portait suspendu à son cou et se mit à en sonner si fort que Guillaume l’entendit distinctement.