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Cependant les autres moines lui portaient envie, puisqu’ils le croyaient mieux traité qu’eux-mêmes.

Ils se réunirent en chapitre pour se communiquer leurs craintes.

— Notre abbé a fait une grande folie, dirent-ils, lorsque le diable lui suggéra l’idée de recevoir cet homme en notre abbaye. Vit-on jamais homme dont l’entretien coûte tant ! Quand on nous donne un petit pain et demi, il en reçoit deux ou trois ; et cela ne lui suffit même pas. Quand nous avons cinq aunes de drap pour nos frocs, il lui en faut douze, avec chape, cotte et pelisse par dessus le marché. À peine jeûne-t-il de midi jusqu’à none ; le matin il lui faut deux grands et bons pains, dont il ne laisse pas une croûte. Quand à dîner nous avons des fèves, il veut tout le plat, et s’empare des poissons et du bon vin. Il vide un grand setier sans en laisser une goutte ; et quand il est soûl, il court après nous pour nous rouer de coups. Il ne nous épargne aucune honte.

La conclusion de leurs délibérations fut le cri unanime :

— Si cet homme vit longtemps, nous mourrons de faim. L’abbé étant survenu :

— Seigneurs, leur dit-il, d’où vient cette émotion ? Parlez-vous de Guillaume au court nez, qui nous a causé tant de mal ?

— Nous ne pouvons plus le souffrir, ni endurer ses procédés. Quand nous causons, cela lui déplait, et il tombe sur nous et nous disperse à coups de poing. Et les coups qu’il donne sont bien redoutables, car il a les poings si gros qu’il tuerait facilement un homme. Aussi quand il entre en fureur, nous tremblons tous, et personne n’ose sonner mot.

À peine ces paroles furent-elles prononcées, que le cenelier de l’abbé s’offrit à leurs yeux, se soutenant à peine avec un bâton ; il ne pouvait marcher, tellement il avait été battu par Guillaume.

— Pour Dieu, sire abbé, s’écria-t-il, je viens me plaindre