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Et le comte lui répondit :

— Que Dieu vous pardonne comme je vous ai pardonné. Vous emporterez mon bonheur en partant d’ici. C’est un pesant fardeau que de vous perdre déjà !

— Écoutez, reprit-elle. Donnez mes joyaux à mes suivantes, et distribuez mes trésors aux religieuses, aux moines et aux prêtres qui servent Dieu ; et faites-moi donner le saint viatique.

— Ainsi soit-il, répondit le comte.

Et il manda le clergé, qui fit son office. Après quoi la dame soupira, et recommanda le comte en la garde de Dieu. Ce fut son dernier mot ; bientôt après elle expira.

On porta le corps à l’église ; les prêtres chantèrent l’office, et après la messe on l’enterra.

Le comte Guillaume passa toute la journée dans les larmes et le désespoir. Enfin, la nuit venue, il se coucha.

Dieu, qui ne voulait pas que le défenseur de la foi l’oubliât dans sa douleur, lui envoya un ange pour lui transmettre sa volonté, qu’il eût à se rendre à Gênes-sur-mer.

Le bon comte obéit aussitôt. Il recommanda ses vassaux à Dieu, donna sa terre en fief à un sien filleul, et partit sur son bon cheval, armé de toutes ses armes.

Seul, sans aucun compagnon, sans ami ni valet, il sortit de la ville et prit le chemin de Brioude. Arrivé là, il mit pied à terre, entra dans l’église de monseigneur saint Julien, marcha droit à l’autel et fit cette oraison :

— Saint Julien, je me mets sous votre garde. Je laisse mon pays, mes châteaux, mes cités, tout mon héritage, pour le service de Dieu. Saint Julien ! je vous confie mon écu ; je le mets sous votre garde, à telle condition que si Louis, le fils de Charles, ou mon filleul qui règne en mes terres, en avaient besoin pour se défendre contre les Sarrasins mécréants, je le reprendrai. Je m’engage à vous payer pendant toute ma vie une redevance de trois besans d’or à Noël et à Pâques.