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Guillaume et vers la fin du dîner, à la face de plus de soixante chevaliers, Guibor le baisa sur la bouche.

— Par le Seigneur qui créa le monde ! dit Renouard, si les païens d’outre-mer osent venir dans les environs d’Orange, je ferai faire une massue à laquelle ils ne pourront pas résister. J’en ai déjà tué tant de ma famille que la terre en est toute sanglante.

— Mais qui donc êtes-vous, et qui était votre père ? lui demanda Guibor en s’asseyant à ses côtés. Je désire fortement le savoir.

— Je vous dirai la vérité, répondit Renouard, et même pour Guillaume je ne vous mentirai pas. Je suis fils d’un des plus nobles rois, de Desramé qui règne à Cordoue et à Tyr, quoique hier j’aie voulu lui ôter la vie et que je l’aie contraint à fuir par mer.

À ces mots Guibor eut un frisson ; elle vit bien qu’il était son frère ; elle soupira et ne put retenir les larmes, qui du cœur lui montèrent aux yeux.

— Renouard, mon ami, dit-elle, expliquez-vous en toute franchise.

— C’est la vérité, madame ; je suis fils du roi Desramé. Je vous dirai comment je fus séparé de mon père.

Nous allâmes un jour, mon frère Guiboué et moi, jouer sur la plage. Nous avions assez longtemps joué à la balle, lorsque mon frère, pour me tourmenter, m’enleva la mienne. Cela me mit en colère ; je trouvai un bâton sous ma main, je l’en frappai si fort qu’il tomba assommé. Quand je le vis mort, je m’enfuis, par crainte de mon père. Des marchands ancrés dans une petite anse de la côte, en me voyant courir si effaré, m’appelèrent et me mirent dans leur vaisseau. Ils levèrent l’ancre et un vent propice les fit bientôt aborder à la côte de France. Le roi de France m’acheta aux marchands et m’emmena en sa ville de Laon. Je restai longtemps dans les cuisines, jusqu’à ce que Guillaume m’emmena avec lui en Aleschant. Là, c’est mon bras qui