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— Gloutons, je vous ai déjà soufferts trop longtemps !

Tous se sauvèrent, et Renouard ne pouvant les suivre, donna un tel coup contre une colonne de marbre, qu’il la brisa et en fit voler les éclats au milieu de la salle.

— Ah ! il vous fait fuir, s’écria Aymer, je le crois bien ; car qui Diable pourrait parer un tel coup ? Frère Guillaume, appréciez-le bien, et amenez-le avec nous en Aleschant ; s’il s’attaque aux païens, il n’en fera pas mal mourir avec cette massue.

— Je ne demande pas mieux, répondit Renouard, mettez-nous vite en présence, et vous verrez.

Aymer et le marquis Guillaume rirent beaucoup de cette saillie. Dans quelques jours ils ne le mépriseront plus ; il sera un des personnages les plus honorés entre tous.

Le souper fini, la société se dispersa. Les chevaliers français descendirent de la salle et allèrent se coucher, qui dans sa tente, qui dans le bourg où il avait trouvé un logement.

Renouard rentra dans la cuisine et se coucha près du feu. Après avoir embrassé son tinel, il le posa sous sa tête et bientôt l’ivresse le plongea dans un profond sommeil.

Quand le cuisinier en chef le vit étendu sur le dos, il eut la mauvaise idée de prendre un tison allumé et de lui brûler ses moustaches naissantes. Renouard réveillé par la douleur, sauta sur ses pieds, et donnant cours à sa colère, il saisit le cuisinier par les flancs et le soulevant comme si c’eût été un enfant nouveau-né, il le jeta dans les flammes, qui en peu de temps le réduisirent en cendres.

— Voilà la place qui vous convient, cria Renouard. Pourquoi me maltraiter ? Infâme bâtard, pensiez-vous que je n’oserais vous toucher par crainte de Guillaume au court nez ? Fussiez-vous un émir, je vous eusse fait subir le même sort. Ah ! l’on me tient pour fou ! Eh bien ! j’agirai comme un enragé. Beau sire cuisinier, goûtez bien votre propre saveur ! Par saint Denis ! c’était de la folie de toucher à ma barbe.