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regardant de tous côtés, elle aperçoit à sa gauche tant de cottes de mailles et de heaumes resplendissants, tant de lances aux gonfanons brillants, que l’horizon semble en feu. Elle entend les sons des cors et le hennissement des chevaux de bataille. Des troupes s’avancent en bataillons serrés. Elle est saisie d’épouvante, croyant que c’étaient les Sarrasins qui revenaient déjà à l’assaut.

— Sainte Marie, protégez-moi ! s’écria-t-elle. Ah ! Guillaume, comme tu m’as oubliée. Noble comte, tu tardes trop longtemps, et tu commets un grand péché en me laissant exposée aux attaques de ces païens. Je sais bien que je vais mourir. Tu ne reverras plus jamais ton épouse ; par amour pour toi j’aurai la tête coupée, je serai brûlée et mes cendres disposées aux vents ; ou on me jettera à la mer, avec une grande pierre attachée au cou. Quoi qu’il arrive, je n’en réchapperai pas.

À ces mots elle perdit connaissance. Le clerc Étienne l’ayant fait revenir à elle, la dame fondit en larmes. Pour regarder encore, elle essuya ses yeux avec son bliaut, et elle vit Guillaume venant au galop, et Renouard derrière lui, jouant avec son tinel. Elle les vit s’arrêter devant la porte, et s’épouvanta surtout en voyant Renouard si démesurément grand :

— Par ma foi ! dit-elle, il n’y a aucune chance de salut, car voilà un démon avec sa grosse perche.

Le comte Guillaume, jetant les yeux autour de lui, vit la ville d’Orange encore en feu, et de l’autre côté Guibor tout éplorée. Les larmes lui vinrent aux yeux et il se hâta de rassurer la comtesse :

— Dame Guibor, cria-t-il, n’ayez pas peur ; je suis ce Guillaume si ardemment attendu. C’est l’armée de France que vous voyez arriver ; faites donc ouvrir la porte et recevez vos défenseurs.

La comtesse lui répondit incontinent :

— Monseigneur, ôtez votre heaume luisant ; je crains trop