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Et là-dessus il commença à trotter devant l’armée, à sauter et à gambader en baisant et en brandissant son tinel, au grand étonnement de tous.

Comme le tinel était sali par le fumier, Renouard le lava dans le premier ruisseau qu’ils rencontrèrent et l’essuya avec sa casaque, que dès lors il ne voulut plus endosser et qu’il jeta dans le plus profond de l’eau. En le voyant presque nu, toute l’armée se mit à le huer, au grand déplaisir du comte Guillaume, qui dit aux siens :

— Prenez garde, il vous châtiera ; gare à celui sur qui sa main s’appesantira, car je jure bien que je n’interviendrai pas.

— Quelle mauvaise idée, firent les Français, de nous abandonner au caprice d’un fou, d’un démon qui nous tuera tous !

Malédiction sur le roi qui vous le donna, et sur celui qui lui permet de venir avec nous !

Cependant la fille du roi se prit à regarder le jeune homme ; elle le trouva fort à son gré et dit à sa mère :

— Voyez comme ce bachelier est beau ; je ne crois pas qu’on trouve son pareil dans toute l’armée. Comme il porte bien sa massue. Que Dieu le protège ! Je suis toute triste de ce que je ne le verrai plus, et je trouve que mon père ne fait pas bien de le laisser partir.

— Taisez-vous, ma fille, répondit la reine. J’espère bien qu’il ne reviendra jamais dans ces lieux.

Cependant il y revint depuis, et le comte Guillaume lui fit épouser la fille du roi ; et plus tard il la couronna reine d’Espagne dans son palais de Cordoue, comme vous m’entendrez raconter, si du moins vos largesses me déterminent à vous chanter cette histoire véritable.

En ce moment le comte appela Renouard et lui fit donner une robe de gros drap gris, bien large et longue d’une toise. Ensuite il lui enjoignit de ne pas se laisser insulter, et de punir les agresseurs, s’il tenait à sa bienveillance.