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— Qui te demande ton avis ? En quoi cela te regarde-t-il, que je parte ou que je reste ? Crois-tu que j’irai encore écumer tes viandes ? J’aimerais mieux te crever les deux yeux.

— Tu te repentiras de ces paroles, dit le chef. Je t’ordonne sur ta tête d’aller faire couper en morceaux ton tinel pour en nourrir notre feu ; et le fer dont il est virolé, servira à raccommoder nos chaudières et nos crocs. Fils de putain, on devrait te mettre à mort.

Quand Renouard s’entendit appeler bâtard, et gronder comme le dernier des goujats, et qu’il vit le sort qu’on réservait à son tinel, une sueur froide lui sortit de tous les pores. Il brandit son arme et du gros bout frappa si furieusement le cuisinier qu’il lui fit sauter les yeux et la cervelle de la tête et l’étendit mort à ses pieds.

— Tais-toi, misérable, et laisse tes injures. Je ne me soucie pas de garder la cuisine ; je veux au contraire aider Orable au teint blanc et le seigneur Guillaume dans la défense de leur terre. Tu aurais mieux fait de te taire.

Là-dessus il s’en alla et se remit en route pour l’armée.

Les écuyers qui le redoutent plus que lion ou sanglier, l’ont devancé à cheval et vont se plaindre au comte Guillaume de ce qu’il avait voulu les tuer, comme il avait fait le maître-cuisinier. Mais Guillaume leur dit :

— Laissez-le, et abstinez-vous de le railler ou de lui dire des injures ; on doit se garder d’un homme ivre et d’un fou. N’allez plus vous frotter à ce garçon, il vous arriverait malheur et vous ne le feriez pas retourner à Laon.

Puis il galopa vers Renouard, qui lui cria de loin :

— Sire Guillaume, voulez-vous bohorder ? Voulez-vous essayer comment je sais jouter ?

— Pas du tout, mon ami, ne pensez qu’à marcher. Je crains bien que vous n’avanciez guère, car cette massue doit vous peser. Je la ferai mener après vous.

— Nenni, monseigneur, je puis très-bien la porter.