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je puis entrer dans ces murs, je mangerai du dîner qu’on apprête là, et je voudrais bien voir qui m’en empêcherait.

Il se dirigea tout droit vers la porte, devant laquelle se trouvait le portier. C’était un petit homme difforme ; il était bossu et marchait avec des béquilles ; sa barbe, blanche comme de la neige, lui descendait jusqu’à la ceinture. Lorsqu’il aperçut Renouard avec ses gros membres, les jambes nues et brûlées, et les vêtements en lambeaux, il crut voir un démon échappé de l’enfer, et il en fut si effrayé qu’il ne l’eût pas attendu pour mille marcs d’or. Il se mit à fuir vers la porte. Mais Renouard courut après lui, et avant que le moine eût atteint l’entrée, il fut à ses côtés et lui dit :

— Attendez que je vous parle, vous y trouverez profit.

— Je n’ose pas, répondit l’autre ; je vous redoute plus que la foudre ; j’ai grand’ peur que vous ne m’étrangliez.

— Rassurez-vous, fit Renouard, vous n’avez rien à craindre.

— Que Dieu vous en récompense !

— Portier, mon ami, poursuivit le géant, si tu peux venir à mon aide je t’en saurai le meilleur gré du monde. J’ai grand’faim, car depuis hier je n’ai pas mangé ; fais-moi donc parler au maître-queux, au prieur ou au chef du réfectoire.

— Je ferai mieux que cela, répondit le portier. J’ai deux pains, et plus d’un quartier de fromage et un grand pot de vin vieux, que les gens du cloître m’ont envoyé hier soir ; je vous les donnerai pour apaiser votre faim.

— Je te conseille de ne pas me tromper, dit Renouard, et m’est avis que tu ne cherches pas autre chose. Si tu peux te sauver là-dedans, et verrouiller la porte sur toi, tu me laisseras crier tant que je voudrai, et tu ne viendras pas me répondre de si tôt. Tu me conduiras au festin là-dedans, ou par la foi que je dois à saint Richer ! je te briserai les os avec mon levier.

— Pour Dieu ! cria le portier, ne me touchez pas ; j’irai devant, suivez-moi.