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l’amour de Dieu, laisse-moi aller avec toi. Je te serai utile en gardant les bagages. Puis, je sais très-bien faire un dîner, frire un poisson ou mettre une volaille à la broche. Pour cela je n’ai mon pareil en France, et je ne crains pas d’être surpassé par homme qui vive à écumer la soupe. Enfin si nous en venons à donner de bons coups, par la foi que je te dois ! tu en pourrais bien commander qui ne me valent pas.

— Ne m’en parle pas, mon ami, lui répondit Guillaume. Tu ne pourrais endurer les grandes fatigues, veiller la nuit et travailler le jour. Dans la cuisine tu as appris à te chauffer et te rôtir les genoux, à manger souvent, à déguster le bouillon, à croquer une croûte dérobée, puis à dîner de bonne heure, à boire du vin à toute heure et à dormir ou à ne rien faire de toute la journée. Il faudrait te corriger de tout cela, et avant qu’un mois se fût écoulé tu serais dégoûté de la vie que nous menons. Quand une fois un homme s’est mis à truander, il n’est plus bon à une vie active.

Renouard répondit :

— Sire Guillaume, laisse-moi m’essayer. On m’a trop longtemps traité en idiot ; aussi vrai que j’ai besoin de la protection de Dieu ! je ne puis plus l’endurer. Je ne veux plus végéter dans les cuisines ; et s’il plaît à Dieu, j’amenderai ma vie. C’est un mauvais fruit que celui qui ne veut pas mûrir. Et si tu ne veux pas me permettre de t’accompagner, par saint Denis que je dois adorer ! j’irai tout seul me battre en Aleschant-sur-mer, sans autres armes qu’une massue que je ferai ferrer ; et vous me verrez tuer tant de Sarrasins que vous n’oserez les regarder.

Le comte lui octroya enfin la permission désirée, et Renouard, au comble de la joie, ne pensa plus qu’à accomplir de hauts faits. Il courut au parc et y choisit un magnifique sapin. Cent chevaliers pouvaient s’abriter sous son ombrage ; et le roi de France, qui aimait à dîner en cet