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on y vit dresser maint pavillon, et mainte tente ; on alluma les feux, les cuisines commencèrent à fumer, et de tous côtés on entendit le son des cors et des trompettes. C’était une rumeur bien agréable à l’oreille.

Il y avait bien cent mille hommes, tous capables de porter les armes ; c’était une armée redoutable.

Un matin que le comte Guillaume, du haut de la grand’salle, laissait errer ses yeux sur ce spectacle, il remarqua un jeune homme qui sortit des cuisines et entra au palais. Il était de haute stature et avait le regard d’un sanglier. Malgré ses habits enfumés et ses pieds nus, il n’y avait pas de plus beau garçon dans la France entière, et pas un qui fût de sa force pour lever un grand poids, ou pour jeter une pierre bien loin. Il était capable de porter un fardeau qu’une charrette aurait à peine porté ; avec cela il était admirablement vif et plein de courage. Mais on l’avait tellement abruti qu’il manquait complétement de mémoire ; s’il n’avait eu ce défaut, il n’aurait trouvé son pareil dans toute la chrétienté. Il avait à peine quinze ans, et un leger duvet lui couvrait la lèvre supérieure. Il s’appelait Renouard.

Les gens de la cuisine avaient l’habitude de le railler. Cette nuit le maître-queux lui avait fait raser la tête et noircir le visage. Les garçons de cuisine se moquaient de lui, lui jetaient de grands torchons à la tête et le poussaient de l’un à l’autre.

— Laissez-moi tranquille, leur dit Renouard, ou par la foi que j’ai en Dieu ! je le ferai payer cher au premier qui me tombe sous la main. Suis-je un fou avec lequel on peut jouer ? Cela m’ennuie, laissez-moi en paix ; je ne vous touche pas, moi.

— Renouard, mon ami, dit l’un d’eux, tu parles d’or. Vois comme je profite de tes leçons.

À ces mots il lui donna sur le derrière de la tête un coup qui retentit par toute la salle.

— C’en est trop, dit Renouard. Il empoigne l’agresseur, le