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dèrent son visage et sa poitrine. Il serra Guibor dans ses bras et l’ayant baisée à plusieurs reprises, il lui dit :

— Chassez ces mauvaises pensées. Je vous jure qu’avant d’être revenu ici, je ne changerai de chemise ni de chausses, que je ne me laverai la tête, ni ne mangerai de viande ni de gibier. Je ne boirai ni vin ni boisson épicée, l’eau seule mouillera mes lèvres ; je ne mangerai de galette à la farine blutée, mais seulement du gros pain ; je ne coucherai sur un lit de plumes et je ne me couvrirai de drap ni de courte-pointe brodée, mais de la couverture de mon cheval et de mes vêtements, et aucune bouche n’approchera de la mienne, si ce n’est la vôtre que je baiserai en ce palais.

Guillaume l’embrassa une dernière fois, et de part et d’autre il y eut bien des larmes répandues. On sella et on brida Folatise, on noua sa testière et on lui recouvrit de fer la croupe et le poitrail, on le sangla d’une double sangle et on le tint prêt à la porte du palais.

Le comte, sans plus attendre, endossa l’armure du païen Aarofle qu’il avait tué ; elle était fort riche, les mailles en étaient dorées ; puis il laça son heaume et noua la coiffe avec treize lacets de soie. Dame Guibor lui ceignit son épée et le clerc Étienne lui apporta son écu, qu’il pendit à son cou. Puis, suivi de tous les siens, il descendit de la grand’salle, au perron ombragé par un olivier il monta à cheval et prit en ses mains la lance à laquelle était attaché une banderolle.

Enfin il embrassa doucement Guibor, qui lui dit :

— Monseigneur, vous m’avez épousée après que pour vous je me fus faite Chrétienne, et je vous ai donné toute ma terre ; aussi vrai que je vous ai tenu ma foi, souvenez-vous de la pauvre délaissée.

En disant ces mots elle tomba pâmée. Sans descendre de cheval le comte la releva, et lui donnant un dernier baiser, il la remit aux mains de ses suivantes et la recom-